Si le trail est un sport exigeant et difficile, l’Ultra Trail l’est plus encore. Ces courses qui se font sur des distances et des durées impressionnantes nécessitent une excellence connaissance et maitrise de soi. Et lorsque l’on est seul avec soi-même et sa souffrance physique si longtemps, un bon mental peut tout changer. Gilles Spagnol, qui a fait récemment l’Ultra Trail du Mercantour et qui est un sportif VPro fidèle nous parle de son expérience dans cette interview. Nous verrons que dans une épreuve aussi extrême, c’est le soutien et l’entrainement, y compris mental, qui ont permis la réalisation d’un si bel exploit.
– Bonjour Gilles. Tu as fait, il y a peu de temps, un trail de 140km et de 31h de course… qu’est ce qui t’a poussé à te lancer dans un tel challenge ?
L’inconscience ! En fait cette course s’inscrit dans une progression d’entrainements et de compétitions, afin de performer sur l’UTMB* 2016. C’est un projet initié en 2011, qui nécessite des phases intermédiaires. Je n’ai jamais envisagé de passer d’une performance sur 20 à 30 kms à une sur 170 kms sans que mon corps et mon esprit ne s’adaptent aux contraintes associées. Participer à l’Ultra Trail Côte d’Azur Mercantour m’a permis de poursuivre mon apprentissage des aléas que je peux rencontrer sur ce type de distance et de durée.
– Quelle préparation générale as-tu fait pour mettre toutes les chances de ton coté ?
Depuis 2012 je travaille avec un entraineur qui connait cet objectif. Le programme d’entrainements et de courses est construit en conséquence. D’autre part, depuis que je travaille avec toi, j’ai pris conscience que la performance est la résultante des efforts que l’on fait pour progresser dans de multiples dimensions. C’est un travail continu sur des axes tels que la préparation mentale, la nutrition, la logistique, la préparation des courses, l’assistance,…
– D’un point de vue préparation mentale, quelles stratégies as-tu développé pour te sentir prêt le matin du jour J ? Peux-tu nous donner des exemples concrets ?
Tu m’as fait travailler sur de nombreuses techniques. J’ai testé beaucoup de choses tout au long de ces 4 années, ce qui me laisse le choix de la stratégie mentale à sélectionner en fonction de la situation. Sur des durées aussi longues on a besoin de pouvoir « varier les plaisir » !
Pendant les entrainements difficiles, j’utilise souvent la technique des modèles** et je la couple avec une projection visuelle sur la fin de l’UTMB 2016, en m’imaginant à la bagarre dans une portion décisive pour la victoire. Je me dis mentalement : « c’est là que 2016 se gagne ! ».
Sur cette course en particulier, tu as programmé des séances de visualisation dans les semaines précédant l’épreuve. En répétant ces exercices à la maison, j’ai pu me présenter sur la ligne de départ avec une grande confiance. Visualiser la course allant à son terme en prenant le dessus sur des éléments négatifs, m’a permis de réaliser cet objectif malgré les galères rencontrées.
– Effectivement, ton corps n’a pas été très coopératif sur ce trail. Raconte nous un peu comment tu as réussi à « finir cette course au mental » ? Quelles techniques t’ont aidées à rester motivé jusqu’au bout?
J’ai en effet rencontré des problèmes gastriques assez rapidement, dès la 5ème heure de course. Je n’ai pas réussi à faire passer ces soucis, et j’ai dû affronter les difficultés des 100 derniers kilomètres du parcours avec peu de forces, et une incapacité à me nourrir suffisamment pour envisager une bagarre avec les premiers.
Ce qui m’a permis de tenir jusqu’au bout, c’est d’avoir mis en place des éléments qui contrecarraient mes idées négatives. Tout d’abord, j’avais défini un objectif à trois niveaux : le premier était de finir coûte que coûte pour obtenir les points manquants pour se présenter au tirage au sort de l’UTMB 2016. Le second était un objectif de temps et le troisième de se mêler à la lutte pour la victoire. L’objectif minimum était clair et connu de toutes les personnes qui m’accompagnaient sur la course. Donc, à chaque fois que je les rejoignais sur un poste d’assistance ou de contrôle, personne n’a jamais suggéré l’abandon. Au fond de moi, malgré les messages négatifs envoyés par mon cerveau, je ne l’ai jamais envisagé non plus. Surement grâce aux séances de visualisation. Aussi parce que les personnes qui m’ont suivi avaient envie de vivre une belle aventure. Je ne voyais pas arrêter alors qu’ils avaient fait des sacrifices pour être présent toute la course.
Enfin, nous avions décidé, avec les auteurs de « papa dessines moi un trail », de faire un second film, en montrant toutes les émotions que peut générer un Ultra Trail. C’était une raison supplémentaire pour aller au bout !
– Les gens me demandent souvent à quoi peut penser un trailer pendant 31h de course… peux-tu répondre à cette question ?
C’est une bonne question ! La première réponse qui me vient est : « à rien ». C’est à la fois vrai et faux en ce qui me concerne. J’ai l’impression qu’au départ d’une course mon cerveau se déconnecte, comme s’il était effrayé par la durée de l’épreuve. Il se contente de m’envoyer des signaux sur mes sensations, il absorbe tout ce qui lui arrive de l’environnement sans le traiter ni l’analyser. Je suis toujours étonné à postériori, de ne pas avoir de sensation de longueur sur de telles courses. En effet, 31 heures c’est énorme. Je pense que c’est un des rares moments de ma vie, où je n’ai pas besoin de penser au futur. Et je n’ai pas le temps de m’ennuyer, donc le temps passe vite.
Certains écoutent de la musique, d’autres imaginent des histoires, d’autres courent avec un autre concurrent pour échanger de temps en temps, avoir de la compagnie. Tous les goûts sont dans la nature !
– Est-ce que tu as une anecdote rigolote à nous raconter sur cette course ?
Oui. Au ravitaillement du 100ème kilomètre, j’ai retrouvé ma famille pour la première fois depuis la veille. Je récupère un peu, je discute avec mon assistance, je fais le point sur ce que je vais emporter pour le prochain tronçon. Comme je n’arrive à manger que de la compote à dose homéopathique, j’ai un emballage de Pom’pote à jeter. Je le sors et le tend à un ami. Ma fille de 8 ans, s’interpose et le plus naturellement du monde demande, si avant de la jeter j’ai bien lu la blague écrite sous l’emballage !!!!! J’ai donc du résoudre la charade, ce qui a conduit mon entraineur à conclure que j’étais en bon état et que je pouvais repartir ! Mentalement cela permet de repartir sur une note positive et rigolote.
– Ton prochain objectif c’est donc l’UTMB. Qu’est-ce que tu comptes mettre en place pour t’améliorer encore suffisamment et atteindre ce but ?
Déjà comprendre pourquoi j’ai eu un tel dysfonctionnement au niveau digestif, et résoudre cette difficulté avec les micronutritionnistes.
Ensuite je dois encore m’améliorer sur le plan mental, parce que je trouve que j’ai trop subi malgré le fait d’avoir terminé la course. Dans les moments difficiles, je sais que je paux davantage positiver. A l’UTMB, l’objectif minimum sera de terminer en moins de 27 heures, les problèmes gastriques peuvent de nouveaux survenir, et d’autres aléas peuvent se produire. Je veux les surmonter plus efficacement.
– Qu’est-ce que tu conseillerais à quelqu’un qui veut faire de l’Ultra Trail ?
D’être raisonnable dans son objectif. On ne participe pas à un Ultra Trail comme on pourrait s’inscrire sur un 10km ou un semi-marathon. C’est une épreuve qui laisse des traces dans l’organisme. Si ton corps et ton mental ne sont pas préparés, le risque de blessure est conséquent. Je conseille de se donner du temps pour préparer son corps et son esprit. Moi, j’ai pris 5 ans pour le faire, mais c’est aussi parce que je me suis fixé mes 50 ans pour courir l’UTMB. Chacun doit apprendre à se connaitre, savoir quel est son objectif (ce n’est pas la même chose de vouloir simplement finir que d’envisager une performance).
– Et à quelqu’un qui veut faire de la préparation mentale ?
Que c’est une très bonne idée. Cela témoigne d’une envie de progresser globalement, de considérer qu’il n’y a pas que l’entrainement physique qui permet d’améliorer ses performances. Renforcer la confiance en soi, se doter d’outils pour faire sauter les barrières que l’on se fixe à tort est fondamental (quel que soit le sport pratiqué). Et l’avantage est que ça ne pèse rien à emporter avec soi ;o). En Ultra Trail c’est important ;o).
** UTMB: Ultra Trail du Mont Blanc, environ 170 km et 10 000 m de dénivelé positif…
*Technique des modèles : Stratégie où Gilles s’imagine entouré de personnes emblématiques qui comptent pour lui et qui le soutiennent chacune à leur façon.
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